Faut-il quitter la France

Chronique par Olivier RIMMEL
(Source : www.observabilis.com)

On ne sait pas précisément combien de français quittent chaque année le pays pour s’expatrier, on n’en connaît même pas toujours exactement les raisons, mais ce dont on est absolument certain c’est qu’ils sont de plus en plus nombreux et que cela concerne désormais toutes les catégories de personnes, dans tous les milieux.

Le Ministère des Finances annonce un chiffre de 300 contribuables “très fortunés” qui s’exhilent ainsi chaque année pour raisons fiscales, mais il est fort probable que le nombre total de candidats au départ, quelque soit leur niveau de richesse et leurs motivations, dépasse largement plusieurs dizaines de milliers d’expatriés annuellement. D’après tous les observateurs, la tendance n’est ni à la stabilisation ni à la baisse. Au contraire.

Le problème nécessite d’être pris très sérieux, et nul ne sait réellement l’impact qu’il peut avoir sur la société française, encore moins sur l’économie française.

Ceux qui partent sont généralement des forces vives, des individus potentiellement proactifs, des investisseurs, des entrepreneurs, des ingénieurs, des scientifiques, des étudiants de haut niveau, des chercheurs, des cadres dirigeants, des cadres supérieurs, des créatifs, des inventeurs, des visionnaires. La nouveauté, c’est qu’ils ne sont plus seulement issus de la “matière grise”, de plus en plus de “travailleurs”, des gens dynamiques et actifs qui n’ont pas forcément fait de longues études, trouvent des opportunités ailleurs. Tous ces gens sont simplement déçus par la “décroissance” de la France, et décident de partir chercher ailleurs ce qu’ils ne trouvent pas dans leur pays.

Gardons bien à l’esprit que le modèle français est considéré partout à l’extérieur comme très qualitatif, il est perçu comme un système sans faille, parfait, idéal, envié même, où tout le monde semble y vivre heureux dans le meilleur environnement possible, bref une idée vieille de 30 ans.

Par conséquent, le français sera toujours accueilli de la meilleure manière qui soit partout ailleurs, le capital sympathie est tellement important, qu’on ne voit plus très bien où sont les freins au départ.

Quand on regarde les choses en face, ou de l’intérieur, on est bien obligé de constater qu’il y a un écart absolument énorme entre ce que le pays est censé être, et ce qu’il est vraiment, ou encore ce qu’il est censé apporter, et ce qu’il apporte vraiment. Pendant longtemps, cet écart pouvait être supporté, mais à force de se creuser davantage, il est devenu suffisamment inacceptable pour déclencher chez certains l’impulsion du projet de départ.

On ne peut pas reprocher le manque d’objectivité de ceux qui quittent le navire avant qu’il ne sombre. On ne peut pas non plus critiquer leur manque de patriotisme, ou d’honneur. Dans un monde global, où l’individualisme est un mode de vie largement répandu et même plébiscité, il n’est pas anormal de penser qu’on puisse trouver mieux ailleurs, surtout quand cela devient criant de vérité, et qu’il suffit de voyager un peu (réellement, ou simplement sur l’internet) pour s’en rendre compte.

La France donne des signes incontestables de déchéance. Le pays est “techniquement” en situation de faillite, et le terme n’est pas exagéré. Faillite économique et financière, d’abord, et faillite sociale ensuite. Dans tous les domaines, il est devenu très difficile de trouver des raisons valables pour rester vivre en France. Tous les indicateurs sont dans le rouge. Certains affirment même que dans bien des cas, il n’est plus possible de faire machine arrière sans une rupture brutale, et forcément toujours dramatique.

On pourrait évoquer quelques domaines où le malaise est fortement présent.

Le système éducatif français n’est plus à la hauteur, il est complètement à la dérive, à tous les niveaux. Le corps enseignant est démobilisé et rendu inefficace, les infrastructures sont inadaptées, les résultats sont catastrophiques. Quand le Ministère de l’Éducation annonce 82% de réussite au baccalauréat, les professeurs eux affirment qu’on ne dépasserait pas 30 ou 40% si l’on appliquait les mêmes règles qu’il y a 10 ans. Nos universités sont des dortoirs à étudiants qui n’ont aucune vocation à y être. Pour bénéficier d’un environnement éducatif un peu meilleur, il faut pouvoir intégrer des établissement privés, qui ne sont donc pas à la portée de toutes les bourses.

Les nouvelles générations de français sont des individus formatés pour être systématiquement et lourdement assistés, qui n’ont aucun goût au travail ou à l’action proactive. Des idées simples, telles que “l’effort amène la récompense”, “le travail est un mal nécessaire” ou “la réjouissance passe par le travail” ont disparu de leur système de pensée.

La France disposerait à priori d’un bon réseau de santé et offre une bonne couverture sociale. Malheureusement, l’accueil qu’on nous réserve dans les hôpitaux se dégrade. Le niveau des équipements et des technologies n’est plus pertinent. On ne peut pas facilement être pris en charge dans des unités spécialisées pour bénéficier des meilleurs soins, on entend même ici ou là que pour se faire opérer par un spécialiste, il faut pouvoir payer des honoraires supplémentaires... plus ou moins discrétionnaires.

On ne cesse de le répéter, la France est championne du monde avec la fiscalité la plus lourde, mais aussi la plus injuste. Cette seule raison pourrait suffire à tous nous faire fuir, parce que partout ailleurs la charge qui pèse sur le fruit de notre travail serait inférieure.

Dans le domaine de l’entreprise, créer une société ou se “mettre à son compte” implique désormais des risques qui peuvent rapidement s’avérer insurmontables, les gens sont découragés lorsqu’ils observent l’expérience de ceux qui s’y sont essayés. Les “mauvaises surprises” s’accumulent quotidiennement, sans compter la dégradation de l’image du “patron” dans le pays. L’entrepreneur devrait être valorisé avec la plus haute distinction, puisqu’il est l’unique maillon de la chaîne économique qui est à l’origine de la création des richesses, et qui œuvre surtout pour les autres en définitive.

La France offre une grande liberté de façade, mais en réalité la complexité de ses règles, et la multiplicité des associations dont le but est d’augmenter les droits de certains en diminuant ceux des autres font qu’il devient de plus en plus difficile d’évoluer librement, ou d’entreprendre librement.

En France, la justice est à deux vitesses, voir à trois vitesses (on observe un traitement différent pour les riches, pour les pauvres, et pour les affaires médiatisées). Quand on interroge les français au sujet de la Justice, ils sont 75% à penser que la justice est injuste dans leur pays.

On pourrait passer des heures à lister tous les problèmes qui s’accumulent en France, on pourrait parler du pouvoir d’achat qui baisse du fait de l’augmentation des prix, de l’impact de l’euro, de l’augmentation des charges directes et indirectes inévitables sur les individus, de la situation des entreprises qui étouffent et se retrouvent souvent au bord du gouffre, et de tout ce qui est soutenu artificiellement, on pourrait encore parler d’injustice, de criminalité en hausse, d’insécurité, et de la dégradation de la qualité de vie en général.

Certains se demandent s’il ne faudrait pas tout recommencer à zéro, en mettant tout à plat une fois pour toute, en tapant du point sur la table. Politiquement, le pays ne devrait-il pas être dirigé par un “dictateur visionnaire et sage” plutôt que par des alternatives de droite et de gauche qui l’ont mené où il est aujourd’hui, et qui continueront dans une voie similaire, probablement dans un cadre démocratique qui n’en porte plus que le nom?

Pourquoi reste-t-on en France aujourd’hui? Pour une majorité d’entre nous, il est encore difficile d’admettre qu’on puisse laisser derrière soi l’endroit où on a toujours vécu, son travail, sa famille, sa maison, ses projets, ... son pays, ne serait-ce que par principe. Le véritable frein aujourd’hui, ce n’est pas le patriotisme, mais plutôt un facteur psychologique lié à la peur de l’inconnu, qui s’estompe néanmoins.

Par ailleurs, je ne suis pas persuadé que ceux qui quittent la France le font exclusivement pour des questions financières, la majorité des expatriés que je rencontre partout dans le monde (en Amérique du Nord, en Asie, au Moyen-Orient ou un peu partout en Europe) assurent qu’ils ont surtout cherché une meilleure qualité de vie, plus de tranquillité, plus de liberté, moins de criminalité, plus de visibilité à long terme, plus de sécurité, moins de pressions diverses, plus de joie de vivre. L’argent vient souvent après toutes ces considérations naturelles et humaines.

Un autre élément troublant est que la plupart de ces gens qui partent ne souhaitent pas revenir en France si la situation s’améliorait, certains assurent même qu’ils ne reviendraient pour rien au monde.

J’ai bien peur que par la force des choses, de plus en plus de gens vont trouver évident de quitter la France pour trouver mieux ailleurs, ils découvrent que ce projet personnel est finalement assez réaliste et plutôt facile à faire aboutir.

Nous sommes à un seuil où les français les plus actifs vivant seuls, et ils sont nombreux, n’auront plus aucun complexe à quitter la France, et pourquoi pas l’Europe. Ce mécanisme me paraît inéluctable et hautement dangereux, et je ne vois pas bien ce qui pourrait le limiter ou l’inverser, il résulte naturellement d’une politique nationale et européenne déplorable dans bien des domaines.

Olivier RIMMEL
Analyste
Décembre 2006

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