Le spectre de la "décroissance" se profile à l'horizon, et les actuelles générations, qui n'ont aucune mémoire du passé, et aucune vue historique, car on leur occulte un passé encore proche, frémissent à la pensée d'une régression matérielle.
Pourtant, il y a certainement beaucoup à gagner, dans une "décroissance consentie"
Voyez un survol de souvenirs pas vraiment anciens...
Les plus anciens de mes souvenirs remontent à l'époque d'un événement très fort, qui a marqué le milieu du XXe siècle: La seconde guerre mondiale.
Ma famille m'a fait baigner, par la suite, pendant des décennies, dans le souvenir morbide de l'occupation allemande qu'a alors vécu la France. Rafles, délations, exécutions sommaires, "Gestapo"...
J'avoue humblement avoir quelque peu pris en grippe ces narrations, sans cesse répétées, et hors de mon vécu.
Les baraquements de l'après-guerre, les ponts métalliques provisoires, quelques ruines, les cartes routières marquées de rouge, aux emplacements de champs de mines, ont constitué une partie de mon décor, en ces temps lointains, mais ne me laissent aucune tristesse, en vérité.
Mon univers interne, lui, n'avait que faire de la guerre récemment terminée, et le concept qui me reste le plus en mémoire, de cette période, tient en peu de mots: "Le progrès".
Un dictionnaire me donne, comme définition de "progrès": "Développement de la civilisation".
J'avais la nette impression que le monde avait vécu un très ancien temps, que les aînés appelaient "avant-guerre", ressenti par moi comme pré néanderthalien, et que j'avais l'immense privilège de me trouver au cœur même des "temps modernes".
Pensez, ce devait être en 1954, ou à peu près, ma chère maman, fée du foyer ancienne mode, très attachée à son ménage et à ses fourneaux, m'apprend qu'elle a réussi à acheter, à crédit, sans trop en parler à papa, un robot ménager.
Cette bête mystérieuse, que l'on a dénommée par la suite "mixer", lui permettrait de réaliser soupes, gâteaux et autres merveilles culinaires, en appuyant sur un simple bouton...
On n'arrête pas le progrès !
Dans la rue, c'était encore l'époque des voitures d'avant-guerre, noires, fumantes et cahotantes, mais on n'allait pas tarder à voir surgir, entre quelques véhicules hippomobiles quelque peu anachroniques, des "dauphines", des "203", bref, de vraies voitures modernes et colorées.
A la campagne, nous étions déjà sortis des lampes à pétrole de ma petite enfance, et de magnifiques lampes électriques pendaient au plafond, qui n'exhalaient plus aucune fumée, et nous éclairaient autrement fort.
S'il est vrai que ma mère allait toujours traire les vaches à la main, quelquefois aidée par moi en cela, nous avions aussi vu s'installer à la maison "l'eau courante", et c'en était fini de la corvée des seaux, au bord du puits ou de la rivière, selon les besoins. J'ai rendu hommage à la vertu du robinet.
De toutes parts, nous progressions, et d'ailleurs, notre journal local, duquel je suis vite devenu un lecteur assidu, se titrait "Le Progrès".
Tout un programme, que nous étions bien désireux de suivre.
Lorsque, parfois, les enfants sont toujours exigeants, je me plaignais de ne point encore disposer de choses que j'avais pu voir, chez des copains habitant en ville, mon père, philosophe, m'expliquait qu'il ne fallait pas être envieux des autres, et que lui-même, "avant-guerre", s'était passé de beaucoup de choses, sans pour autant en mourir.
Il disait aussi : "Tout vient à point à qui sait attendre".
Je pense qu'il avait bien raison en cela, car la chose attendue et souhaitée procure encore plus de bonheur quand on la convoite, que quand on la détient.
Le stress n'avait pas encore été inventé, et la télévision, si elle existait à dose infinitésimale, monochrome et circulaire, chez les grands de ce monde, ne s'était pas encore répandue chez nous.
La guerre étant finie, nous n'entendions plus jamais d'autres bruits d'armes à feu que les honnêtes calibres douze de nos chasseurs, dans les périodes adéquates, bien entendu.
La radio nous parlait du monde extérieur, sous forme de bulletins d'information, où des "speakers" nous appelaient "mesdames et messieurs", et s'exprimaient calmement, en excellent français, comme le faisait remarquer mon instituteur, sorti tout droit de chez les émules de Jules Ferry.
On parlait peu de "vacances". Le terme alors le plus usité était "congés payés".
Mon père, lui, travailleur indépendant, n'y avait pas droit, mais il disait que çà lui était égal, et qu'il n'aurait pas aimé être payé à se la couler douce.
Le mot "criminalité" n'était pas encore entré dans le dictionnaire.
Nous savions qu'il existait une "crise du logement", mais, personnellement, nous étions peu concernés dans notre ferme.
Souvent, à pied, ou à bicyclette, je parcourais des kilomètres de routes, et je faisais bien attention aux autos (on disait peu "voiture", alors), car je ne suis pas fou, et je n'allais pas me faire écraser. Mes parents ne me permettaient pas de déambuler la nuit, hors de la ferme, et je n'avais aucune peine à obéir: Que serais-je allé faire, sur les routes, la nuit ? Je vous le demande.
Le vélo était mon moyen officiel de locomotion de l'époque.
Papa, lui, avait une auto. Non pas qu'il fût riche, mais il m'a expliqué qu'il en avait toujours eu une, dès que ses moyens le lui avaient permis, même avant guerre, pour aller travailler.
Nous avions aussi une jument, dédiée aux travaux agricoles, et il était bien rare qu'on l'attelle pour la route.
La voiture était une "traction". Elle dépassait le cent kilomètres/heure sans effort apparent, mais papa était prudent. Jamais nous n'avons connu d'accident.
Dans l'auto, je m'installais à l'arrière, le plus souvent, sauf quand j'étais seul avec mon père. On avait des poignées pour se tenir, et il ne nous serait pas venu à l'idée de nous ficeler sur nos sièges.
Je me souviens d'avoir rencontré bien peu de gendarmes.
Aux passages à niveau, il y avait des gardes-barrière, avec qui l'on pouvait échanger quelques mots, et l'on pouvait admirer de grosses locomotives à vapeur, empanachées de fumée blanche et noire.
C'est curieux, mais plus j'y pense, plus je me souviens avec netteté que nous ignorions la peur et l'inquiétude.
Les choses allaient de soi. La radio et les journaux nous parlaient bien de bandits, quelquefois, pas trop, mais cela ne nous concernait guère.
Les « terroristes » n'existaient plus, dont la carrière avait pris fin avec la guerre.
Près de notre village, on trouvait tout ce qu'il fallait de gens aussi importants qu'utiles.
Il y avait Monsieur l'Instituteur, Monsieur le Curé, aussi, et, bien sûr, Monsieur le Maire, Monsieur le Notaire, et le Docteur.
Chacun connaissait son rôle, et tout ce monde nous inspirait le respect, n'est-ce pas normal ?
On goudronnait de plus en plus de routes, mais j'allais quand-même bien souvent sur les chemins de terre, moins fréquentés des voitures, et pleins de noisetiers et de châtaigniers.
Je n'ai jamais été un grand sportif, et, sorti de mon vélo, mon exercice se passait le plus souvent dans les livres.
J'ai connu ma vocation très jeune.
Aux âges où les jeunes garçons veulent être pompiers ou pilotes, je voulais, moi, être journaliste. Personne ne le savait autour de moi, car j'avais oublié, sans malice, de le dire, mais je dévorais toutes les lectures qui me passaient sous la main.
Cela allait d'Alexandre Dumas à Tintin, en passant par Flaubert, et, plus tard, Maupassant et Balzac.
Ces années passèrent pour moi dans la plus grande ignorance des troubles profonds du monde, des guerres, des révolutions, du terrorisme, du chômage et du futur sida.
La guerre était loin derrière, avec ses terroristes, le chômage était le métier des fainéants, disait papa, et la politique était une engeance pourrie qui ne valait pas qu'on s'y arrête, "à moins d’en vivre", précisait-il.
Ce qui est sûr, c'est que dans la quinzaine d'années qui a suivi "la libération", et qui m'a vu grandir, aucune des préoccupations majeures et lancinantes, des jeunes et moins jeunes d'aujourd'hui, n'avait cours.
Nous n’avions pas encore à pratiquer des quantités d'êtres bizarres, qui ont vu le jour, ou qui ont débarqué plus tard, et qui peuplent le monde d'aujourd'hui.
On savait bien qu'il existait des "communistes", personnages hautement dangereux, dont M. le Curé nous avait dit qu'ils habitaient, pour la plupart, en Russie, qu'ils était tout rouges, et que, si d'aventure, on en rencontrait un par ici, il valait mieux l'éviter. Je ne pense pas en avoir jamais rencontré un.
En tous cas, si l'un de ces êtres diaboliques (M. le Curé avait prononcé ce mot, mais sans nous en expliquer plus), a jamais croisé mon chemin, il devait être bien déguisé, car je n'ai rien vu de tel.
Les bons et les méchants étaient assez faciles à repérer. Parmi les bons, il y avait, bien sûr, les notables, et les ouvriers sérieux, se levant tôt chaque matin, pour aller travailler.
Au rang des méchants, il y avait ceux que l'on pouvait voir entrer au bistrot, et tous les fainéants qui ne travaillaient pas, mais, peu nombreux en ce temps-là, du moins, par chez nous.
Il y avait aussi des riches et des pauvres, nous avait-on expliqué, comme étant une chose normale, mais moi, je n'en ai jamais rencontré, ni d'une sorte, ni de l'autre.
Papa, parfaitement d'accord avec mon instituteur (un "homme de gauche", paraît-il), ainsi qu'avec M. le Curé, m'avait appris qu'il suffisait de travailler pour être heureux, et de gagner de l'argent pour se payer ce qu'on voulait. Papa était contre le crédit, qu'il appelait "des dettes".
Je n'ai jamais bien su, et je ne sais toujours pas, ce que veut dire, au juste, un homme "de gauche", par rapport à un homme "de droite".
Je me souviens simplement que, dans ma jeunesse, les gauchers (ceux qui écrivent de la main gauche), étaient un tant soit peu brimés, ce qui n'est plus le cas aujourd'hui, tant s'en faut.
Il y avait ceux qui allaient à l'église, et ceux qui n'y allaient pas. Nul ressortissant de l'un de ces deux groupes n'aurait pensé à aller taper sur la figure de l'autre pour autant.
Les guerres de religion faisaient partie des leçons d'histoire, pour ceux qui allaient à l'école.
On était horrifiés à la pensée d'imaginer qu'il avait fallu se cacher, en des temps immémoriaux, pour aller au culte, ou pour ne pas y aller.
Dans le cours de mon heureuse jeunesse, je me souviens, il y a eu, dans mon esprit, un lent élargissement des concepts, une maturation insensible, mais certaine, sur des sujets que, l'âge aidant, on ne peut manquer d'aborder.
La xénophobie m'étant étrangère, j'ai, dès que l'occasion m'en fut offerte, fait connaissance avec "l'étranger".
Cet étranger était "l'Anglais", un voisin…
Ils ne disent pas M. le Curé, ils disent "Révérend", mais ils parlent au Bon Dieu des chrétiens, tout comme les Français.
Ainsi, de ma pratique précoce des Anglais, j'ai gardé le goût de faire connaissance avec les étrangers qui, finalement, ont pour différence essentielle avec nous, de parler une autre angue, que l'on peut apprendre, puisque moi-même, tout jeune, ai appris suffisamment d'Anglais pour me sentir à l'aise en Grande-Bretagne.
Je n'ai jamais ressenti aucune gêne, face à un étranger, et, dans mon entourage, il en était de même.
Une légère exception était faite, en ce temps-là, pour les Allemands, qui n'étaient pas des étrangers comme les Anglais, m'avait-on appris, mais qui étaient des "Boches". Une race belliqueuse ayant laissé de bien mauvais souvenirs.
Je n'ai pas pu, dans ma jeunesse, vérifier par moi-même à quoi ressemblait un "Boche", pour ne jamais en avoir rencontré un.
Toujours est-il que j'ai su, dès l'aube de ma vie, que nous étions Français, mais aussi que nous n'étions pas la seule espèce humaine au monde.
S'il existait des Anglais, et aussi des Allemands (peut-être méchants, mais bien réels), j'ai vite compris qu'il pouvait exister des douzaines d'autres sortes d'étrangers, parlant des douzaines d'autres langues, certains bons, certains méchants.
Cela me paraissait élémentaire, et ne me posait aucun problème. J'avais même envie de connaître d'autres étrangers.
La vie passait, calme, et j'allais à l'école avec intérêt.
Notre instituteur nous enseignait, certes, le programme prévu par "l'Education Nationale", en toute bonne foi, mais on sentait qu'il y mettait une conviction toute personnelle.
Il nous faisait la leçon de morale et celle d'instruction civique. Il nous apprenait qu'il est stupide et criminel de se maltraiter les uns les autres, et nous n'avions aucune peine à le croire, tant çà nous paraissait évident.
Curieusement, au catéchisme, M. le Curé nous disait exactement la même chose, en nous précisant bien qu'il tenait ses renseignements d'un certain "Jésus", un homme sage qui n'avait pas de défauts.
Très souvent, on pouvait observer que le discours de l'instituteur et celui du curé se ressemblaient énormément.
L'instituteur nous expliquait que chacun est libre de ses opinions, et que lui, s'il ne mettait jamais les pieds à l'église, trouvait bien normal que d'autres y aillent.
Le curé, lui, devant certaines de nos questions, qui débordaient les préoccupations de Jésus, nous priait gentiment de voir çà avec notre maître d'école, qui, sans nul doute, nous fournirait les bonnes réponses.
Il nous arrivait, du moins pour certains d'entre nous, de répercuter à l'école les choses traitées au catéchisme, et vice-versa, sans que ceci n'ait jamais déclenché de problème.
A la maison, c'était pareil. Papa n'allait jamais à la messe que pour les enterrements, maman, elle, prenait soin d'y aller tous les dimanches.
Mais jamais aucun des deux ne m'a montré de débat ni de conflit à ce niveau.
Le curé venait bien une fois pas an à la maison, rendant visite à ma paroissienne de mère, et mon père lui payait un coup. On parlait de tout et de rien, et çà se concluait par un sonore "Au revoir M. le Curé", un point c'est tout.
Mon père disait, parfois, "Les curés, c'est comme les communistes, il en faut un peu, mais pas trop".
Jamais personne ne m'a expliqué ce qu'il entendait par là. Le mot "tolérance" ne nous avait pas encore été enseigné.
Mon père distillait sans doute une certaine sagesse.
Moi, je n'ai compris que beaucoup plus tard le rapport qui peut exister entre un curé et un communiste.
Il faut dire que, dans la bonne France rurale de mon enfance, les curés avaient pignon sur rue, si je puis dire, et les communistes, beaucoup moins.
Toujours est-il que, entre la mère nature, au sein de laquelle nous vivions, la terre, la mer, les animaux, l'instituteur, le curé et les parents, nous recevions un ensemble de données sur la vie, qui nous ont permis de juger de nous-mêmes par nous-mêmes, et de ne pas nous égarer dans des doutes et des troubles métaphysiques.
A observer les personnages qui nous entouraient, tout n'était pas rose, certes.
Nous savions qu'il existait des "fous", mais nous savions aussi qu'il y avait des asiles pour les soigner.
Il y avait bien aussi quelques aveugles, que l'on voyait circuler avec une canne blanche, et que nous aidions, au besoin, à traverser la rue, c'est la moindre des choses.
Il y avait aussi, bien sûr, des sourds. Surtout parmi les gens âgés. On élevait le ton pour leur parler.
Certaines personnes n'avaient qu'une jambe, et une jambe de bois. C'était un peu curieux, et triste aussi à regarder. Mais la guerre n'était pas si loin, et les accidents ont toujours existé.
Aucun d'entre nous ne se serait amusé de rire de l'infortune de ceux d'entre nous qui avaient perdu l'une des facultés dont nous jouissions...
Par contre, nous n'avions aucune notion de ce que peut être un "non-voyant", puisque tout aveugle vous dira qu'il n'y voit rien, ni un "malentendant", puisque les sourds le sont, c'est évident, non ? Quant aux unijambistes, je pense qu'ils auraient fort mal pris, en ce temps là, de se faire traiter de "personnes à mobilité réduite".
Autres époques, autres mœurs, me direz vous, mais il faut quand-même appeler un chat un chat.
Nous avions quelques veuves de guerre, dans notre entourage. Ces infortunées élevaient leurs enfants avec courage et dignité, et il ne nous serait pas venu à l'idée de les qualifier de "familles mono parentales".
De même, les rarissimes filles-mères connues dans le canton, cachaient leur infortune et leur honte bien en dehors de toute "mono parentèle".
N'allez pas croire que nous fussions plus naïfs qu'aujourd'hui sur les dures réalités, et les tares en tous genres qui affectent l'être humain.
Nous savions très bien ce qu'est un pédéraste, et ceux-là ne se vantaient jamais de leurs mœurs particulières. Ils ne défilaient pas dans les rues, et ne se faisaient pas appeler "gays".
Il y avait des familles. Je veux parler de gens mariés, qui, dans leur immense majorité, avaient des enfants, et les élevaient. Il y avait des célibataires, des veufs, et même quelques divorcés.
Des divorcés, M. l'instituteur ne disait rien de spécial.
Il nous avait expliqué qu'il s'agissait de gens ayant été mariés ensemble, et qui, ne s'entendant plus, s'étaient séparés pour éviter des bagarres.
M. le Curé, lui, nous offrait un autre son de cloche: Il disait que le divorce était interdit par l'Eglise, car quand on s'était mariés, c'était pour la vie, rien moins.
Il disait que le divorce était un péché, tant que les divorcés restaient seuls, chacun dans leur coin après séparation.
Il disait aussi que le divorcé qui osait se remarier à la Mairie, puisque la République est plus permissive que l'Eglise sur ce point, vivaient en état de "péché mortel".
C'était bon à savoir, çà ne nous faisait pas vraiment peur, et, nous autres, gamins, n'en étions pas encore rendus à l'article du mariage. Bref: Des points de vue d'adultes.
De toute manière, quand nous croisions un couple dans la rue, nous ne pensions jamais à lui demander s'il était marié, pas marié, ou ancien divorcé: On s'en fichait pas mal.
La vie des gens ne regarde que les intéressés, toute autres considérations n'étant que ragots.
Ce que nous n'avions, par contre, jamais pu penser, c'est qu'il pourrait arriver un jour où un homme envisagerait de se marier avec un autre homme, et une femme avec une autre femme.
Jeunes, mais pas naïfs, ai-je dit, nous vivions dans la réalité de la nature, et nous savions bien qu'une portée de cochons ne peut pas être engendrée entre deux truies, ni deux verrats.
L'idée même d'un mariage, ou de quelque chose comme çà, quel que soit le nom qui puisse être donné à une telle absurdité, entre individus de même sexe, nous aurait paru digne de mener son auteur à l'asile.
Mais, heureusement pour nous, nos jeunes esprits ne furent pas, alors, troublés par de telles folies.
Nous aspirions au "progrès", ce qui, pour nous, consistait à alléger les efforts quotidiens qu'il faut fournir au travail et à la maison, mais nous n'envisagions pas que ce progrès puisse se dessiner sur les voies d'une dégénérescence de l'humain, à aucun niveau.
Notre cadre de vie du moment nous laissait les pieds bien ancrés sur le plancher des vaches.
Entre l'école, pour les enfants, le travail, pour les adultes, et la volonté générale "d'améliorer l'ordinaire", nous avions suffisamment d'occupation pour ne pas nous dissoudre dans des idées extravagantes, de quelque ordre qu'elles fussent.
Les diverses tâches qui nous incombaient suffisaient à nous occuper.
Non point que nous ne souhaitions pas connaître quelque repos, voire quelque loisir, mais, pour cela, il y avait le cinéma, les visites familiales, les amis et relations.
Bien sûr, il y a eu, de tous temps, des insatisfaits, cherchant toujours mieux, toujours plus, en toutes choses, mais ceux-là, vus de notre fenêtre, avaient quelque chose de détraqué.
Nous ne ressentions pas le besoin de parcourir mille kilomètres à toute vitesse, pour voir la mer ou la montagne, et encore moins de nous y astreindre périodiquement.
De ma modeste connaissance de l'Anglais, je tirais avantage de connaître le mot "week-end", qui, chez nous, veut dire "fin de semaine".
Une semaine, on sait ce que c'est, et M. le curé nous parlait, lui, du dimanche, exclusivement, pas du samedi.
Bien sûr, ce faisant, il prêchait pour le maintien de ses ouailles dans ce qu'il pensait bon pour elles. Jamais nous ne lui avons entendu prononcer la formule "week-end", qui n'existe, ni en français, ni en latin.
M. l'instituteur non plus, ne préconisait pas que l'on utilise un mot anglais, en lieu et place d'une bonne expression bien française.
A quoi bon ? On parle le Français, ou on parle l'Anglais, mais on respecte la pureté du langage de chacun, non ?
De nos jours, pourtant, j'ai cru comprendre que le "week-end" a détrôné le dimanche, et qu'il est quasiment devenu une religion en soi. Sommes nous plus heureux pour autant ? J'en doute très fort.
J'ai entendu, parfois, au fil des années, des gens de télévision remplacer le terme "week-end" par la formule, bien française dans la forme "Congé de fin de semaine", mais c'est une traduction malhonnête.
Je confirme que "week-end", en Anglais, ne se rapporte nullement à une notion de congé: Cela veut dire "fin de semaine", et rien d'autre.
J'ai, au fil du temps, noté bien d'autres exemples, où le sens de choses simples a été altéré, sous couleur de traduction, ou de prétendu sens de la précision.
Un exemple me vient en tête, bien typique du début du XXIe siècle: Les "avantages fiscaux".
Comment le fisc, qui exerce, c'est bien connu, sur le peuple, une pression économique en constante augmentation, peut-il oser parler "d'avantages" offerts au contribuable, alors qu'il ne constitue qu'un inconvénient ?
Le terme "avantage fiscal" est un contresens. Au mieux, il s'agit de la pondération d'un inconvénient, en aucun cas d'un avantage.
Le sens du mot "avantage" est détourné, altéré, dénaturé, inversé. C'est à la fois un outrage à la langue française, et une malhonnêteté politique.
Mais je parlais de bon sens, de vie saine, et non de politique, ce qui est exactement le contraire. Ne nous égarons pas.
Donc, j'en étais à me souvenir que, dans ma jeunesse, si les gens n'étaient pas ennemis de panacher leurs activités entre travail et délassement, ils ne me paraissaient pas atteints par des frénésies de week-ends et de vacances, comme c'est maintenant le cas.
Le concept "vacances", qui est devenu une profession, pour beaucoup, et une obligation, ou quasi, pour les autres, ne nous tourmentait guère.
Nous autres, écoliers, attendions avec plaisir les "grandes vacances". C'était l'été, qui coïncidait avec le beau temps, et les travaux des champs.
C'était aussi l'époque où nos pâles cousins citadins nous rendaient visite, ce qui nous distrayait beaucoup.
Les gens des villes avaient des "congés payés".
Cette idée choquait fortement mon père, qui n’entendait être payé que pour son travail, et rien d'autre. Les gens payés à ne rien faire ne valant pas grand chose selon lui.
On notera au passage qu'il y a quelque bon sens dans cette pensée.
Mais, les congés payés, qu'on le veuille ou non, se sont répandus, et, si le terme a pratiquement été abandonné, son contenu, lui, est allé à l'inflation.
Pensez, si mes renseignements sont justes, une loi française, dite "sociale", datant de 1936 (avant guerre), a ordonné que les employeurs laissent leurs salariés s'absenter chaque année deux semaines, de leur travail, et que ces deux semaines soient rétribuées aux travailleurs, comme s'ils eussent été présents à leur poste.
Soixante cinq ans plus tard, ces deux semaines ont été portées à cinq semaines, et j'ai entendu dire qu'on ne s'en tiendra pas là. Les patrons doivent devenus être bien riches, pour payer tant de gens sans contrepartie !
Vous me direz, certains "salariés" (douce formule catégorielle), perçoivent, paraît-il un treizième, quatorzième (et plus), mois de salaire par an.
Il faudra que l'on m'explique comment les auteurs du calendrier romain, qui rythme notre vie, encore au IIIe millénaire, s'y retrouvent, alors que je crois savoir que le calendrier commun se limite à douze mois seulement, mais c'est sans doute une autre histoire.
Donc, chaque été, nous voyions débarquer de charmants citadins en vacances.
Aussi loin que je me souvienne, cette coutume de nous sauter dessus, en rangs plus ou moins serrés, aux premières semaines de l'été, n'a jamais été trop appréciée par les autochtones, malgré le charme certain d'un contact vivifiant avec d'autres modes de vie et points de vue.
Il existe une espèce de surenchère discrète de néo snobisme ville-campagne.
Le provincial à Paris pensera, et le laissera subtilement voir :
"Toi, mon gars, tu ne m'en remontres pas avec ton gadget dernier cri, je l'ai déjà vu, la semaine passée, quand tu faisais la queue au passage à niveau qui est au coin de ma ferme, pendant que tu klaxonnais comme un âne..."
Il existe, et c'est sympathique, une induction parisiano-provinciale perpétuelle.
Cette situation tourne, en fait, à l'avantage de nous-autres, paysans, car le Parisien ne la remarque pas, qui est tiré à des millions d'exemplaires, toujours renouvelés, pour ce qui est des visites chez nous.
En vérité, s'ils nous agacent parfois un peu, on les aime bien quand-même, avec leur complexe de supériorité, qui nous permet souvent de les arnaquer gentiment, tant sur les tarifs de nos excellents restaurants de fruits de mer, que sur celui de nos prétendues chaumières.
Il faut dire que, chez nous, les tarifs faramineux qu'on leur propose parfois passent comme une lettre à la poste, tant ils sont habitués au racket tous azimuts, dans leur bonne ville.
En finalité, le touriste citadin, essentiellement parisien, est perçu chez nous comme une autre sorte de vache à lait que la vache normande, plus polluant, sans doute, mais bien utile.
Tout ce petit monde faisait relatif bon ménage, chacun parvenant à tirer son épingle du jeu, sur le dos des autres, bon an, mal an.
Désormais, le charme paraît rompu.
D'abord, dans le temps, les envahisseurs de qui je viens de parler, nous laissaient au moins cinq jours de répit, chaque semaine, histoire de nettoyer la voirie de leurs immondices, en tous cas, et ne nous laissaient pas trop de mauvais souvenirs.
Mais, maintenant, ils sont pratiquement là, par roulement, douze mois sur douze, ou au moins onze, (mais pas treize ni quatorze), et ont importé chez nous leur dose de délinquance quotidienne.
L'élégance parisienne a régressé, çà se voit au premier coup d'œil, et ils nous abreuvent de chèques en bois et autre "plastic money".
Notre province n'est plus ce qu'elle était, de s'être vue submerger par un certain tourisme de masse mauvais genre, comme partout.
Nous sommes passés du gentil parisien en goguette chez les paysans, par proximité, et du sympathique "congés payés" du mois d'août, aux masses tarées du temps libre et autres 35 heures. Misère ! Je parle, parfois, de dégénérescence.
Les rues de notre province ne sont plus sûres, et le promeneur nocturne et romantique, sur la plage, se fait rare, car il craint l'agression.
Signe des temps. Et ma sage bourgade n'est pas la seule concernée, qui n'est pas une "banlieue à risques".
Je voulais me remémorer une époque où le consensus social paraissait perceptible à tous, où nul n'emmenait de Ministres en prison, où l'on disait "Monsieur le Président de la République", et non "Chirac", où les gauchistes ne se déguisaient pas en curés.
Cette époque est révolue, c'est sûr.
Était-elle meilleure que les précédentes, je ne saurais le dire de façon sûre, mais elle était plus agréable que l'actuelle.
Ceux qui avaient des ennemis les connaissaient, ce qui, apparemment, n'est plus le cas.
Nous vivions entre nous, et, s'il y avait des mécontents, ils n'agressaient pas, gratuitement, tout le monde et n'importe qui, à tour de bras.
Le policier n'était pas traîné devant le Tribunal, pour avoir fait son travail, et les Procureurs ne poursuivaient pas à tour de bras, tout un peuple de coupables présumés. La machine est déréglée, c'est sûr.
Au cours d’un demi siècle d'observations, j'ai pu déterminer certaines causes, de ce dérèglement.
L'une de ces causes se nomme "marketing", une autre se nomme "télévision", une autre encore se fait appeler "mondialisation".
Mais la cause profonde, principale réside dans l'incurie des politiques, dans leur bêtise, dans leurs compromissions, dans leur goût du lucre.
Tant que des fractions importantes des affaires humaines seront régies par de soi-disant démocraties, où règnent en maîtres les notions de démagogie effrénée, et de profits capitalistes, les choses empireront.
Le progrès a mal tourné: Je n'y crois plus.
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