Par Paul Van den Bulck
Si la conquête de l’espace a d’abord débuté sur base de fiertés nationales, elle s’est poursuivie de manière « plus mature ». Aujourd’hui, sans que nous en ayons réellement conscience, les services rendus par les satellites font partie de notre quotidien. La météo est un souci journalier qui va bien au delà des conversations de salles d’attente ; la radiodiffusion par satellite est une réalité omniprésente dans un monde d’information et de divertissement globalisé ; la téléphonie du 21ème siècle joue à saute-mouton en utilisant tous les relais possibles de transmission des ondes, en ce compris les satellites ; le GPS (Global Positioning System) est embarqué dans nos avions, bateaux, véhicules routiers et même dans nos téléphones portables et autres PDA (personal digital assistant) ; « Google Earth » permet à quiconque (particulier ou administration) de zoomer la photo satellite de notre maison ou de celle du voisin ; demain, le système européen de radionavigation Galileo rendra notamment des services aux non-voyants en les guidant au mètre près grâce à des cannes guidées depuis l’espace ; etc... Le futur spatial est donc très prometteur et ne connaît que les limites de l’imagination humaine.
Cette apparente maturité a toutefois un revers.
On estime à plus ou moins 6.600 le nombre de satellites lancés depuis le début de la conquête de l’espace. Parmi ces 6.600 satellites, on en dénombre actuellement plus ou moins 5.800 qui sont hors d’usage et dérivent dans l’espace.
Le nombre de satellites opérationnel n’est donc que de plus ou moins 800. Parmi ces 800 satellites, on estime que 570 de ceux-ci sont à usage commercial, même si l’usage n’est pas toujours déclaré.
Les 230 autres satellites sont présumés à usage scientifique. Le nombre total de satellites militaires actifs est quant à lui bien évidemment inconnu. Il n’est pas impossible non plus que certains satellites dits scientifiques aient un usage militaire.
Ces chiffres en tout cas nous révèlent que la déchetterie céleste est bien plus importante que le parc satellitaire actif.
On s’en doute tout ceci n’est pas gratuit non plus.
En ce qui concerne plus particulièrement les satellites commerciaux, le seuil de rentabilité doit être atteint par la commercialisation des services.
La rétribution de ces services se fait le plus souvent en contrepartie d’un contrat de licence. En effet, les services rendus ne le seront pour l’essentiel que grâce à la propriété intellectuelle « embarquée », « véhiculée » ou « produite » dans ou par lesdits satellites.
En ce qui concerne la propriété intellectuelle « produite », celle-ci est essentiellement relative à la restitution en données ou photographies de l’espace ou de la terre.
Pour l’Europe, le régime juridique de cette observation et de la restitution qui en découle est balisé par différents textes internationaux relatifs à l’observation elle-même et la réglementation internationale et nationale applicable en matière de droit d’auteur et de protection des bases de données.
Concernant l’observation de l’espace les principes applicables se retrouvent dans deux instruments internationaux, à savoir, tout d’abord, un traité de 1967 « sur les principes régissant les activités des États en matière d'exploration et d'utilisation de l'espace extra-atmosphérique, y compris la lune et les autres corps célestes » et, ensuite, une déclaration de 1986 des Nations Unies « concernant l’observation de la terre à partir de l’espace ».
Ces deux textes disposent en substance que :
-L'espace extra-atmosphérique peut être exploré et utilisé librement par tous les États sans aucune discrimination, dans des conditions d'égalité et conformément au droit international, toutes les régions des corps célestes devant être librement accessibles ;
-L'espace extra-atmosphérique ne peut faire l'objet d'appropriation nationale par proclamation de souveraineté, ni par voie d'utilisation ou d'occupation, ni par aucun autre moyen ;
-La responsabilité éventuelle découlant de l’exploration de l’espace extra-atmosphérique pèse sur l’état qui conduit cette activité (le pays du « pavillon » est donc le premier responsable, quitte pour ce dernier à se retourner contre le ou les propriétaires du satellite).
Une fois ces responsabilités et libertés posées, reste à déterminer le régime de protection des résultats de cette observation, à savoir les photographies et autres données récoltées. En Europe, deux institutions juridiques sont principalement concernées, à savoir le droit d’auteur et le droit des bases de données.
En ce qui concerne le droit d’auteur, celui-ci protège les œuvres de l’esprit.
En bref, il faut donc un contrôle humain de l’élaboration de l’œuvre ou une maîtrise par celui-ci du contrôle créatif.
Pour reprendre les termes de notre Cour de cassation, «il est nécessaire , mais suffisant » pour qu’une création soit protégée qu’elle « soit l’expression de l’effort intellectuel de celui qui l’a réalisée, ce qui constitue une condition indispensable pour donner à l’œuvre le caractère individuel à travers lequel une création existe ».
Pour une photographie, tout le débat porte donc sur la question de savoir si il a un « caractère individuel ».
De manière très schématique donc, une photographie satellitaire qui serait le résultat, à l’instar d’un photomaton, d’une prise de vue automatique n’est pas protégée par le droit d’auteur.
Par contre, une photographie satellitaire qui serait le résultat de l’expression de l’effort intellectuel d’un humain est protégée.
Le fait donc que la photographie soit prise à distance est indifférent.
Il faut, mais il suffit, qu’un être humain soit aux commandes c'est-à-dire qu’il maîtrise du processus créatif : le choix du moment du déclic, de l’angle de vue, de la sensibilité, des contrastes, de l’objectif (grand angle, téléobjectif, objectifs spéciaux), du cadrage (serré, large), de la vitesse d’obturation effet filé, etc…), de l’ ouverture du diaphragme (objet net et fond net ou flou selon l’ouverture), des filtres, du traitement de l’image (reconstitution ou nettoyage de l’image, etc …).
En ce qui concerne la protection des données récoltées par les satellites, tout est également une question de faits.
Ceci dit, dans la toute grande majorité des cas le contenu des bases de données qui sont le résultat de l’observation céleste ou terrestre seront protégées par le droit des bases de données.
En effet, le fabricant d’une base de données peut invoquer une protection spécifique pour celle-ci lorsque l'obtention, la vérification ou la présentation du contenu de cette base de données attestent un investissement substantiel du point de vue qualitatif ou quantitatif.
Ce sera le plus souvent le cas en matière d’observation satellitaire.
Tout ceci étant dit, la libération récente d’Ingrid Betancourt aidée en partie par l’observation satellitaire, est l’occasion d’effleurer une question cruciale.
Au delà du cliché largement véhiculé de la possibilité pour un satellite de photographier « une balle de golf sur la grand place de Bruxelles», il y a la réalité journalière bien plus affreuse que nous stigmatiserons en quelques mots.
Lors du massacre de Srebrenica durant la guerre des Balkan, certains satellites disposaient des photos montrant l’acheminement et le massacre de milliers de civils dans des stades de football.
Ce n’est qu’un exemple parmi d’autres.
D’un autre côté, certaines lois nationales permettent la non divulgation et le rachat exclusif par l’Etat concerné de certaines photographies satellitaires.
Nous ne nous prononcerons pas ici sur l’opportunité de ces lois et de la balance d’intérêts qu’elles provoquent. Nous nous limiterons simplement à souligner que l’accès à ces photographies satellitaires fait également partie du débat plus général concernant le devoir d’ingérence.
Paul Van den Bulck
Avocat aux barreaux de Bruxelles et de Paris
Chargé d’enseignement à l’Ecole nationale supérieure des télécommunications (Telecom ParisTech) et à l’Université de Paris II (Panthéon-Assas)
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