En Russie, on assiste à un harcèlement des organisations non gouvernementales (ONG), des procès pour "extrémisme", à l'internement psychiatrique d'une opposante : à trois mois des élections législatives russes, le Kremlin amorce un nouveau tour de vis envers toute forme d'opposition ou de critique du pouvoir en place.
Jeudi 30 août, alors que des centaines de Moscovites rendaient hommage à Anna Politkovskaïa, la journaliste de Novaïa Gazeta assassinée le 7 octobre 2006, la police de Nijni-Novgorod procédait à une perquisition dans les locaux du bihebdomadaire. Les six ordinateurs de la rédaction régionale ont été saisis.
Officiellement, la rédaction de Novaïa Gazeta à Nijni-Novgorod est accusée d'avoir utilisé des logiciels pirates, ce que son rédacteur en chef, Evgueni Lavlinski réfute. Les ennuis du journal, explique-t-il, viennent de sa couverture critique envers le gouverneur de la région, Valeri Chantsev, qui a lancé un vaste chantier de rénovation dans le centre historique de la ville sans trop d'égards pour le patrimoine historique. Ce jour-là, les policiers ont aussi perquisitionné les locaux du Fonds pour la tolérance, une ONG locale qui s'est mis en tête d'organiser en octobre une conférence internationale à la mémoire d'Anna Politkovskaïa. Oksana Tchelycheva, fondatrice de l'ONG, a été convoquée par la police. Elle craint une mise en examen pour "extrémisme".
Entrés en vigueur le 26 juillet, les nouveaux amendements à la loi sur l'extrémisme prévoient des peines de cinq à quinze ans de prison. A l'origine, ce texte était censé lutter contre les agissements des groupuscules néonazis, qui assassinent des personnes au faciès non slave (54 personnes tuées en 2006). La plupart du temps, les auteurs de ces actes sont condamnés à des peines légères pour "hooliganisme", les juges refusant la qualification d'"acte raciste". Mais cette loi - qui prévoit jusqu'à huit ans de prison pour "troubles à l'ordre public" - peut aussi être détournée, la notion d'"extrémisme" y étant définie d'une façon très vague. Dorénavant, le "financement" et l'"organisation" d'actes extrémistes, par le biais "d'imprimés, (...) de liaisons téléphoniques ou d'autres moyens d'information" seront punis de huit à quinze années de prison. Enfin, le texte donne toute latitude aux forces de sécurité pour écouter les conversations téléphoniques des personnes soupçonnées.
En septembre doivent se tenir les premiers procès d'"extrémistes". Sur le banc des accusés, un retraité de 71 ans de la ville d'Oriol (400 km au sud-ouest de Moscou), Piotr Gagarine, accusé d'avoir crié un peu trop fort son mécontentement envers le gouverneur de la région, Egor Stroev. Il encourt plusieurs années de prison. Le 24 septembre, s'ouvrira à Moscou le procès d'un autre "extrémiste", le politologue Andreï Piontkovski. Critique acerbe du Kremlin, il est accusé d'avoir incité à l'"extrémisme" dans deux de ses livres, des recueils de ses articles publiés entre 1999 et 2006, selon une "expertise linguistique" du FSB, services secrets russes.
La pratique de l'internement psychiatrique d'opposants politiques, largement utilisée à l'époque soviétique, a également refait son apparition. En juillet, Larissa Arap, militante de l'Autre Russie (mouvement d'opposition à Vladimir Poutine dirigé par Garry Kasparov) a été internée de force dans un hôpital psychiatrique près de Mourmansk, dans le nord-ouest de la Russie.
INTERNEMENTS ARBITRAIRES
Venue chercher chez un médecin une attestation de santé nécessaire à un examen de conduite, Larissa Arap s'est vu demander si elle était bien l'auteur d'un article paru récemment dans la presse régionale sur les mauvais traitements infligés aux enfants dans les asiles psychiatriques. Elle a répondu par l'affirmative. Le médecin a alors appelé l'hôpital psychiatrique qui a envoyé une ambulance. Elle n'a dû sa sortie de l'hôpital, quarante-six jours plus tard, que grâce à la campagne de mobilisation lancée par l'opposition pour sa libération.
Elle n'est pas la seule. En 2006, dans la région d'Omsk (Sibérie), Nikolaï Skatchkov, qui avait protesté contre des brutalités policières envers des manifestants, a été convoqué par la police, puis contraint de subir des tests dans un hôpital psychiatrique. Les policiers lui trouvaient "un sens trop aigu de la justice", et les psychiatres l'ont fait interner pendant six mois pour "délire paranoïaque". Selon l'association des psychiatres indépendants, 15 % des internements sont arbitraires.
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